Nous avons été invités à parler de notre maison d'éditions- et de son intérêt pour l'Afrique, thème de 2011 - lors de la journée du 5 pctobre, journée professionnelles organisée par le CRL de
Lorraine.
Voici le texte qui a servi de base à notre intervention.
« Le
livre africain au coeur d'expérience en Lorraine »
Je crains que le titre ne soit ambitieux
Non que le livre africain – encore que l'expression pose déjà problème , existe-t-il un « livre africain » et dans ce cas quel est -il ? C'est un sujet de
polémique complexe- n'intéresse pas les éditions Aspect. Mais l'Afrique n'est, pour notre petite maison d'éditions de Nancy, qu'une des composantes de notre ligne éditoriale : proposer une
découverte des écritures du français contemporain.
J'y reviendrai.
Il faut dans un premier temps situer notre association d'éditions.
Une association « Les Amis de la Poésie »fut créée par Bernard Demandre, professeur de lettres et poète, il y a une vingtaine d'années pour promouvoir la
poésie contemporaine par des rencontres, lectures et stages d'initiation organisées par le Rectorat dans le cadre de la formation des professeurs au CRDP de Nancy. Plusieurs dizaines de poètes
sont venus alors en Lorraine – pour l'essentiel Nancy et Epinal, mais aussi Toul et Commercy- et une quarantaine à ce jour – l'association est toujours active -, pour y présenter leur
oeuvre.
Outre son impact pédagogique, cette association a permis des rencontres personnelles qui ont perduré entrecertains des poètes et des adhérents.
Trois d'entre eux, Danièle Marche, aujourd'hui présidente des « Amis de la Poésie », Alain Gnemmi, son vice président et moi-même, sur la proposition de
poètes qui souhaitaient des rééditions d'ouvrages disparus des librairies, ont fondé l'association des éditions ASPECT en 2003. Parmi les premiers recueils édités, « les songes
impatients » de Tahar Bekri, « Boucan de mots libres » d'Ernest Pépin, « Les Dieux manquent de tout » d'Annie Salager.
Tous trois nous avons été professeurs coopérants en Afrique de l'Ouest. Nous y avons gardé des amis et un profond attachement pour les pays et les hommes rencontrés
dans les années de nos 20 ans. Et tous trois, nous avons découvert, parce que l'enseignant dans le cadre des programmes, la richesse d'une littérature française écrite par des auteurs africains,
de Leopold Senghor à Birago Diop, d'Amadou Hampaté Bâ à Bernard Dadié ou Camara Laye.
Puis que nous sommes dans un Festival dédié à la Géographie, qu'il me soit permis d'ouvrir ici une parenthèse qui associe géographie et littérature
française.
Elle concerne ce qu'il est convenu d'appeler francophonie. Le concept fait appel à ce qui serait des limites frontalières à cet espace de langues attachées à la
métropole. Métropole étroite dans son espace géographique mais qui, sur les frontièrs de son ancien empire colonial, aurait en quelque sorte construit une entité linguistique. Espace d'ailleurs
considérable si l'on considère que l'on commence le nouvel an dans un territoire de langue française et qu'il parcourt pratiquement tous les fuseaux horaires, si l'on évoque aussi les lignes
d'Air France et la Zone économique exclusive (11 millions de km2) la seconde du monde après les Etats Unis d'Amérique .
Mais l'espace de la littérature de langue française – « espace des lettres françaises » nous conviendrait assez -est encore bien plus considérable, que
l'on s'intéresse à la lecture du français littéraire, aussi bien qu'à son écriture. Les diasporas ont ainsi essaimé la langue française au delà de l'ancien empire au gré d'une histoire complexe :
Cubains, Haïtiens, Acadiens qu'on trouve ainsi aux côtés littéraires de nos amis mauriciens et comoriens. Et, au delà de l'empreinte historique, régions voisines d'Europe et espaces d'Outre-mers,
certains écrivains ont choisi, dans le monde entier, la langue française pour des raisons personnelles ou d'opportunuité.
L'espace du français langue littéraire est ainsi plus large que celui que recouvre le terme « francophonie ».
Je reviens à l'histoire de notre petite maison d'éditions.
De cet intérêt pour les écritures du français d'écrivains hors métropole, et des contacts avec Tahar Bekri et Ernest Pépin notamment , est née l'idée, tout en
continuant d'éditer des recueils, d'imaginer une revue-anthologie de découverte des écritures du français contemporain. C'est la revue annuelle- à périodicité variable –
CARNAVALESQUES
Carnavalesques : curieux
Je laisserai de côté ici les discussions et polémiques qui pourraient naître de l'utilisation – ou non – des termes « francophones » et
francophonie », qui ont leur justification et très certainement leur utilité. Mais nous avons décidé de « labourer » sans parti pris les continents et les îles, à la recherche de
tous ces écrivains – professionnels souvent, amateurs quelquefois – qui trouvent, dans l'écriture de la langue française, une satisfaction, une ouverture, un outil qui leur permet de
s'exprimer.
L'aventure CARNAVALESQUES.
Le premier numéro, aidé par le Crédit Mutuel Enseignant, paru en 2006, a été présenté au Festival Etonnants Voyageurs de Saint Malo la même
année.
J' évoquerai rapidement la naissance de cette revue en 2006. 29 poètes ont bien voulu nous donner des textes, certains inédits. Nous en
connaissions quelques uns, par lesquels et grâce à leur réseau, nous avons pu contacter une grande majorité que nous n'avions pas encore rencontrés.
Ainsi d'Alain Mabanckou, présentement Président du Salon du livre du FIG 2011, nous avons édité un extrait de « Tant que les arbres s'enracinent dans la
terre». L'article de lecture qui suit sa biographie commence par ces mots : « Alain Mabanckou est l'enfant chéri de la francophonie » et plus loin « L'auteur est allergique
au silence, amateur de l'ellipse et du registre carnavalesque, il inverse à plaisir les niveaux de langue...»
Ainsi Alain Mabanckou a-t-il, sans le savoir, participé au baptême de notre revue.
Nous avons fait un rapide calcul qui permet de mesurer les choix que nous avons faits : sur 84 auteurs , 16 sont originaires d'Afrique- nous exceptons ici les
poètes des actuels Dom-Tom - et si nous y ajoutons les 26 poètes des îles de l'Océan Indien, ce sont 42 poètes qui sont représentés. Cette addition peut prêter à la critique, mais ces
« découpages » ne sont là que pour insister sur notre attachement à aider à la découverte des continents – l'Afrique nous est le plus proche- de littérature française.
Aujourd'hui, poursuivi avec le soutien du CRL de Lorraine, la revue-anthologie compte 4 numéros, 84 auteurs de toutes origines géographiques, avec un regard
attentif porté sur les écrivains africains, certains connus comme Tahar Bekri , Nimrod, Alain Mabanckou déjà cités ; d'autres qui sont venus à nous de façon inattendue, comme ce prêtre du Burkina
Faso , Théodore Ouedraogo, -dont je vous recommande les prêches sur internet, une belle plume à la Bossuet, fondateur d'un centre multi-média à Koupéla – ou cette conteuse de Marseille, Renia
Aouadene, d'origine kabyle, qui nous a donné ce si joli conte- « L'enlèvement des femmes de Aït Bimoune »-qui fait l'ouverture du numero 3 de la revue.
Ce qui nous guide : la curiosité.
Ce qui nous décide : la qualité.
Ce qui nous convaint : la diversité.
Celle des contenus ; celle des origines ; celles des écritures avant tout.
Notre tour du monde ne fait que commencer. Notre regard de Lorrain, et de métropolitain s'est tourné vers l'Afrique, où tout commence. Prolongeant notre curiosité
vers le sud, nous avons, en partenariat avec les éditions K'A, édité un « Spécial ïles de l'Océan Indien », conçu avec des universitaires régionaux.
Que nos amis des îles de l'espace india-océanique nous pardonnent encore une fois ici de rattacher leur monde à l'Afrique. Il en porte au moins l'empreinte.
Le prochain numéro, s'intéresse aux poètes contemporaines des Amériques. Nous en avons soumis l'idée à Nicole Brossard et Denise Desautel, nos invitées pour le
Printemps des Poètes 2011, qui nous ont promis leur appui.
Nul doute, une fois encore, parce que l'Afrique, du fait de l'histoire, a marqué ces régions, que nous rencontrerons bien souvent la présence, parfois très
prégnante, de l'Afrique dans la littérature américaine.
Des émissions de radio régulière, sur Radio-déclic, pemettent de suivre nos découvertes et nos coups de coeur.
Encore un mot de CARNAVALESQUES.
Pour regretter simplement que cette revue-anthologie originale dans sa présentation et ses objectifs, n'ait pas, auprès des enseignants et structures culturelles,
rencontré le succès que, d'après nombre de personnes , elle mérite. Souhaitons qu'elle intéresse un jour le décideur qui pourrait la promouvoir.
Toucouleur : disponibles
« Parcours d'un jeune Toucouleur à l'assaut de la vie »
Il s'agit là d'un autre aspect, passionnant, de la vie d'une jeune maison d'éditions. Celui d'une rencontre. J'y serai peut être un peu long.
Demba Assane Sy, l'auteur de cet ouvrage de mémoire, n'est pas un écrivain : il est infirmier en retraite.
Il n'est pas un personnage public et célèbre, sinon dans la petite ville du nord du Sénégal où il est né, au début du siècle précédent, Podor.
Il a cette année 92 ans ; il a écrit ce livre de mémoire il y a environ 5 ans. L'ouvrage, tapé par lui-même sur son ordinateur, nous est arrivé par l'intermédiaire
d'un ami de Nancy, coopérant à Podor dans les années 60, alors son voisin et ami.
Après une recherche vaine d'un éditeur français – il faut croire que les éditeurs français s'intéressent peu à « ces Bibliothèques qui brûlent » comme
l'écrit Amadou Hampaté Bâ- nous avons édité ce texte remarquable. Qui n'est pas un texte littéraire : peu de livres relèvent en fait de la littérature.
Mais c'est une relation sincère et essentielle des événements d'un longue vie : « Un vieil homme se souvient » ( c'est le sous-titre), est un livre
de mémoire. Et quelle mémoire !!
De longues nuits de lecture – le jeune infirmier que fut Demba a découvert un jour le livre en ouvrant les pages d'un exemplaire des Pardaillan de Zevaco oublié
dans la table de nuit d'une chambre de fonction et sans le savoir, il était « tombé dedans » - d'une insatiable curiosité – il est de ces personnes qui lisent tout, de l'étiquette d'un
produit alimentaire à la page d'encyclopédie perdue qu'un coup de vent accroche à l'acacia du chemin -, Demba Assane Sy est plus qu'un lecteur étonnant : c'est un personnage.
Je dis souvent qu'il est le fils spirituel de Mahomet et de Michel Zevaco. Le propos peut prêter à sourire. Pourtant...
Mais nous ne nous sommes pas contenté d'éditer ses mémoires.
Nous avons souhaité promouvoir ce livre d'Africain en Afrique, et nous nous sommes rendus au Sénégal. Contacts auparavant pris dans les centres culturels français,
visites à Dakar, sous la houlette de monsieur, Oumar Kahn, libraire à Podor, au ministère de la Culture, au Centre Culturel Senghor de Dakar, aux grandes librairies de la place, lecture à
Saint-Louis, présentation de l'ouvrage à Podor, partout nous avons rencontré le même accueil bienveillant et chaleureux, parfois surpris. Notre volonté était de faire éditer le livre au Sénégal
et de le diffuser, aussi largement que possible, en Afrique de l'ouest ; en espérant que l'idée germe et « fasse des petits ».
Cette visite aurait pu rester disons professionnelle.
Elle est devenue d'amitié. Demba Assane Sy est un homme comme on en rencontre peu. Dans sa ville natale, il est un personnage respecté. « Quand j'avais 15 ans,
il était notre héros » nous a confié l'un de ses admirateur âgé aujourd'hui de près de 70 ans. Pour la promotion du livre, des connaissances, venues pour la dédicace, nous ont confié combien
leur vie avait changé à sa rencontre : telle dame s'était vue emmener à l'école, trousseau pris en charge ; tel autre se souvenait l'avoir vu emmener sa fillette se baigner dans le Sénégal. Il
avait fait l'admiration des jeunes avec son vélo, puis sa mobylette, puis sa moto, sur lesquelles il emmenait sa femme à la maternité, où elle était sage-femme. Aujourd'hui encore, droit comme un
I mais presque aveugle, il garde cette présence, cette conviction dans des valeurs qui passent au delà des préjugés. Pour nous, rencontrer monsieur Demba Assane Sy a été un bonheur et un
honneur.
Côté projet en Afrique, les nouvelles sont bonnes : nous avons fait la connaissance de monsieur Abdoulaye Diallo, universitaire à Dakar et fondateur-administrateur
de « l'Harmattan-Sénégal ». D'un contact sympathique, riche d'idées et d'initiatives – ce jeune éditeur n'en manque pas - il est ressorti de la rencontre quelques mois plus tard la
création au sein de l'Harmattan-Sénégal, (blog : harmattan-senegal.over-blog.com ) d'une collection spécifique, riche déjà de deux ouvrages et entièrement dédiées aux mémoires d'Afrique
d'Africains. Nous avons été ravis de l'iniative, qui faisait suite logique à nos projets.
D'ici la fin de l'année, il est probable que nous abandonnerons nos droits sur le livre de Demba Sy , soit en les transférant, avec son aval, à cet éditeur
sénégalais, soit en conseillant à l'éditeur de signer un nouveau contrat avec l'auteur.
Il est logique et juste qu'il en soit ainsi : puisse cette initiative allumer les feux -qui ne soient pas cette fois « d'incendie »- de la mémoire des
anciens du continent.
La diffusion du Livre : l'attention
Le dernier point concerne le Livre.
De nos deux récentes visites au Sénégal et à Madagascar il ressort que la diffusion du livre dans certains pays – je ne veux parler que de ceux que nous avons
traversés – est un problème récurrent, même si la situation est différente suivant les états.
Une quinzaine de livres sont disponibles sur les rayons de la librairie « Au quartier latin » de Podor. À Madagascar, si les livres en malagazy paraissent nombreux, ils sont surtout de contenus religieux, malgré le dynamisme des éditeurs indépendants,
dont je parlerai. Quant aux livres en langue française, malgré le fait que le français soit au programme des écoliers dès le CE 2, ils sont quasiment absents, alors qu'une partie non négligeable
de la population, scolarisée dans les années 60-70, maîtrise très bien notre langue : les écrivains malgaches de talent sont nombreux.
Même le Marché du Livre d'occasion de Tananarive est peu achalandé.
Notre association a acheté environ 3000 livres en très bon état qui « dorment » dans un hangar.
En attente d'expédition.
Problème.
Car nous avons pris contact avec les éditeurs indépendants de Madagascar – à la suite d'une table ronde organisée par le CRL à Fameck- pour connaître leur position
quant à l'envoi de livres « gratuits » sur leur marché. On sait comment l'expédition de vêtements d'occasion a ruiné les activités de confection dans les pays d'Afrique de
l'ouest.
La réponse, émanant à la fois d'un écrivain reconnu, Michèle Rakotoson dans un interview sur le net, et de la présidente des éditeurs indépendants de Madagascar,
Marie Michèle Razafintsalama, est sans appel : NON. Trop de livres expédiés et inutiles ; une initiative qui risque de ruiner une activité locale et fragile ; une aide extérieure qui pervertit le
système économique.
Soit.
Mais il faut pourtant des livres pour alimenter la lecture.
Comme pour nos anciennes pompes à eau, il fallait de l'eau !
Et j'imagine qu'il faudra un certain temps pour qu'on puisse trouver sur un marché incertain des livres en quantité suffisante pour alimenter à la fois un volant
économique viable, et une couverture des besoins du marché. Hors scolaire, cela va de soi.
Cette niche étant écartée, nous avons imaginé nous intéresser aux touristes – 100 mille touristes de langue française en moyenne basse– et à un circuit commercial
qui viserait les agences, les hôtels et restaurants, les espaces touristiques et de transport, dont l'aéroport de TANA. Un pôle, géré à la fois par un « syndicat » commercial et
l'association des éditeurs indépendants, pourrait organiser à la fois la distribution et le partage des bénéfices, tout en créant une filière économique qui manque à Madagascar, celle des
libraires, dépositaires et marchands itinérants.
Une proposition sera faite dans ce sens dans les prochains mois, d'abord en direction de l'Alliance internationale des Editeurs Indépendants à Paris et, en cas de
réponse positive, aux professionnels de l'édition de Madagascar.
Notre tour d'horizon s'arrête ici. L'Afrique, continent proche par la distance et par la culture, nous paraît essentiel dans la connaissance que nous avons du
monde, donc de nous-mêmes. D'autant plus que par les hasards de l'Histoire, nous sommes venus d'elle, et elle est venue à nous, de plus en plus présente dans notre hexagone étroit.
Editeur, nous essayons de construire des ponts.
D'autres ont, là-bas, pris le bateau.
Pour terminer j'évoquerai Birago Diop en reprenant les salutations d'usage de ses contes :« Bienvenue. Êtes vous en paix ?
Merci