Danièle CORRE
ROUTES QUE RIEN N'EFFACE
Editions Aspect, 2012, 100 pages, 16 Euros.
On respire, bien au-delà des poumons, dans ce livre qui nous RECUEILLE ( la langue française a de ces rapprochements...) au creux de ses mots et de ses
silences. On ferme les yeux : on boit la poésie cristalline de Danièle Corre, qui nous parle de la résonance du monde sur le seuil.
Clarté des sources, fraîcheur des herbes, senteurs du vent...Mais voilà, cette célébration ne supporte ni mièvrerie ni grandiloquence. Alors
écoutez :
« Les monstres de la nuit / tendent leur échine / pour une caresse / qui ne les oublie pas/
dans le travail des mains / à façonner le jour ».
Jouir des matins premiers, de la confiance des corps et des gestes. Apprendre à orchestrer ces mille voyages qui nous ramènent au port et nous font repartir au
rythme régulier et frémissant de nos marées intimes.
Ici les phrases sont offrandes telluriques, lèvres ourlées des gâteaux de l'enfance, pieds ancrés dans le terreau des consentements, cœur aux aguets du signe.
Danièle Corre évoque ( invoque?) les « femmes des acceptations // qui m'offrent nuits rebelles / et quête avide / du sens » .
Oui, acceptation et quête peuvent chevaucher de conserve, c'est même là sans doute le chemin dont parle tout poète qui se veut tel.
Mais en ce chemin, dit-elle, demeurons perpétuellement guetteurs en vigilance :
« Un mot peut vous jeter
hors du nid de l'instant ».
Et gardons-nous d'oublier « ce qui a conduit là/ tout couturé d'écorchures / mains agrippées / à des falaises de silence » ; souvenons-nous
que « sans cesse il faut rebâtir » et qu' « il est des déchirements / qui n'en finissent pas / de creuser des abîmes ». Caressons les mots, mais n'en faisons pas nos
maîtres. Ainsi demeurera la soif. Une soif revigorante et non dévorante qui accueille toute source en cadeau et non comme un dû ( « Sais-tu que je suis là / à ne rien
attendre »).
Tombée dans le gouffre, Danièle Corre a « apprivoisé la paroi »( selon la belle expression de Guillevic). Roulée par le torrent, elle a tendu les bras
au fleuve. Et la voici « pieds nus / dans la merveille / de vivre ». Il ne nous reste qu'à la suivre sur ce chemin de clarté dont elle sait, mieux que quiconque, que l'ombre est
genèse.
Jean-Louis BERNARD