Un article d'Alain GNEMMI paru dans CARNAVALESQUES 5 spécial "Voix des femmes des ameriques"
dont vous bne verrez pas la couverture faute de pouvoir l'enregistrer sur ce blog paralysé depuis janvier 2013
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De Suzanne au bain....
Professeur de lettres classiques et féministe, Suzanne Dracius s’est d’abord imposée comme
romancière avant d’assurer sa grande liberté d’esprit – et de ton - dans la poésie où paradoxalement, elle renoue avec l’inspiration caustique des satiristes de l’Antiquité. Elle peut se
reconnaître dans le personnage biblique de Suzanne au bain surprise par les deux vieillards ou dans Pandora envoyée par Zeus aux hommes pour punir Prométhée qui avait dérobé le feu de
l’Olympe. Tous les maux de l’humanité sont exposés à son regard comme à celui de Pandora dans le poème intitulé « l’entrebâillement de la porte » ; notamment l’esclavage de la Traite évoqué à
propos du toponyme de son quartier, Pointes Nègres. Elle est aussi sensible devant la désolation d’un jeune banlieusard sous sa capuche en train d’inhaler son Vicks Vaporub dans les terrains
vagues du « neuf cube » (le 93).
Sans jamais renier sa « gésine urbaine » à Fort-de-France, Suzanne Dracius parvient à donner un habillage antique à son décor antillais, ou – inversement - à retrouver dans la réalité foyalaise
un enseignement profond de la sagesse ou de la misère humaine. – Ce qu’elle appelle « le changement inchangé » « où être pareillement mélangé /
Hic et nunc se met à faire sens ».
Par le biais de néologismes, d’anachronismes, de jeux sur la langue – sur le créole parfois -, elle parvient à « écrire le monde à partir de /son/ dédale de venelles » et à concilier les
références mythologiques, les grands moments de l’histoire de la Martinique (le rôle d’Amédée Knight après l’éruption de la Montage pelée), et à les enchâsser dans son vécu personnel, dans des
airs de chanson (« Aux horizons du sud »), dans son humeur fantaisiste et provocante, dans sa revendication de « calazaza gréco-latine ».
Son déploiement de rhétorique rappelle l’éloquence d’Aimé Césaire ou le sens de la formule lapidaire de Frantz Fanon, autre Martiniquais, qui se méfiait du mouvement de la négritude, bien
qu’élève au lycée où Césaire enseignait. Le lyrisme savant de Suzanne Dracius vient prendre la relève après la prose d’Edouard Glissant pour attester - ce que chacun sait ou devrait savoir
– l’importante contribution des écrivains martiniquais dans la littérature française depuis près d’un siècle.
Mais, depuis Césaire et Glissant, les humeurs - et les affinités de « formes » - de la poésie contemporaine varient et se confondent avec l’emprise de la prose et des modalités
narratives. L’écriture de Suzanne Dracius qui associe volontiers succulence des mets et succulence des mots dans « la fête des saveurs métisses » - ne s’encombre pas de la facture des
poèmes à forme fixe. Elle choisit un récit, le subvertit dans le registre grotesque ou « bigarré », utilise le focalisation d’un personnage – ce qu’on peut appeler aussi la prosopopée.
La technique de la narration homérique est sans cesse transgressée, ironiquement transgressée par elle, on le voit dans « Nègzagonale » l’arrivée d’une Euroblack à l’aéroport du
Lamentin, autant que dans « Aux cendres de Sandra », poème dans lequel se cristallise l’absurdité de la violence sociale en Martinique à travers le comportement d’un jeune homme amoureux qui
finit, devant une station service, par brûler l’automobile offerte à sa petite amie Sandra.
L’anecdote prosaïque est secondaire comparé à la langue émaillée d’incises latines et
créoles qui, dans le contexte antillais, caractérise la démarche « carnavalesque ».
Plus que d’autres Martiniquais obstinément tournés vers la métropole, Suzanne Dracius est consciente d’habiter dans un département linguistiquement exposé et s’adresse aux lecteurs voisins
peuplant les Amériques : elle leur propose une version de ses poèmes en espagnol et en anglais, mettant ainsi un soin particulier à ce travail de traduction – une réécriture formatrice pour
tous les poètes, de l’avis même de la québécoise Nicole Brossard.
La francophonie existe dans cet intervalle périlleux entre plusieurs zones de cultures et de langues dominantes.
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....à l'enlèvement des Chabines ?
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biographie
Suzanne Dracius est née à Fort-de-France, en Martinique où elle a passé son enfance entre ses Terres-Sainville natales et les hauteurs de Balata, puis s'est installée à Sceaux, en France hexagonale.
Professeur de Lettres Classiques, après des études à la Sorbonne, elle exerça d'abord à Paris. Depuis son retour à la Martinique en 1982, elle vit à Fort-de-France où elle a entrepris, en Lettres et Civilisation Caribéennes, une recherche sur les villes de Saint-Pierre et Pompéi.
Elle a enseigné à l'Université des Antilles-Guyane (Campus de Schoelcher) jusqu'en 1996 et aux États-Unis à l'Université de Géorgie et à l'Université de l'Ohioen tant que visiting professor.A Fort-de-Francelle a entrepris, en Lettres et Civilisation Caribéennes, une recherche sur les villes de Saint-Pierre et Pompéi.
Suzanne Dracius se définit comme « une métisse de blanc et de noir à la peau et aux cheveux clairs », une « kalazaza » en langue créole. Revendiquant ses ancêtres africains, européens, indiens, caraïbes et chinois, elle a fait de la lutte contre toute espèce de discrimination - raciale, sexuelle ou sociale - l’enjeu et la matière de son écriture.
Poète, romancière, dramaturge, elle se consacre aujourd'hui à la littérature.
Désolés pour la photo : une riche galerie de portraits sur internet ****
bibliographie :
Outre des romans, Suzanne Dracius est l'auteur de plusieurs recueils :
- Poésie - Negzagonal et Moun le Sid (version créole et version française), éditions de Traditions et Parlers populaires de Wallonie-Bruxelles, MicRomania (coll.) n° 3, 1992 ; n° 5, 1993. - Exquise déréliction métisse, éditions Desnel, 2008.
- ouvrages collectifs - Hurricane, cris d’Insulaires, éditions Desnel, 2005, Prix Fètkann Mémoire du Sud/mémoire de l’humanité. - Prosopopées urbaines, éditions Desnel, 2006. - Pour Haïti, éditions Desnel, 2010.
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extraits
De sueurs, de sida et de sang
À mon ami Jamie, exquis « béké a priori »
Il semble que tes doigts aient cessé d’exister,
il semble que tes pieds soient exténués de t’avoir à charge.
Tes membres sont des rats morts
à l’inerte agressivité jetée à la figure,
des rats morts enragés d’insupportable douleur.
Les sueurs de nuit ne sont guère douces, pas de sucre dans ton sang,
seulement cette fleur virulente qui pollénise ton corps,
viral génome parasite qui tente de polluer ton corps
de son protéique poison violent et lent.
Il semble que tes droits n'existent pas,
il semble que tes droits n’aient jamais existé
dans la déréliction d’un inique système de santé.
On te jette tes non-droits à la face comme des rats morts au visage,
des rats morts enragés d’intolérable outrage.
On te les jette en pleine face, nanométriques
tels le diamètre du virus qui veut à tout prix vivre en toi.
Compacte, pour protéger son acide nucléique
au fallacieux nom de capside,
plus forte est sa structure de protection à lui
que ne l’est ta structure de protection sociale à toi
contre les machinations qui s’efforcent de t’affaiblir,
qui se tuent à utiliser ta machinerie cellulaire,
te détruisant de l’intérieur.
À toutes lentivirinae scandons avec virulence :
« Vade retro, satané rétrovirus ! »